Olivier | saison 3 | épisode 1
“Quand j’ai l’afflux d’idées, c’est jouissif !”

Olivier Auroy : En fait, c’est un métier très obsessionnel parce que quand on est lancé dans une recherche de nom, ça m’obsède tout le temps, tout le temps, tout le temps. J’ai la recherche de noms en tête et les mots qui dansent dans mon esprit.

Olivier Auroy : Quand j’ai l’afflux d’idées, c’est jouissif ! Quand on a cette révélation, quand ça débloque, c’est un plaisir fou !

Hervé Hauboldt : Bonjour et bienvenue dans Travail soigné, le podcast des gens qui aiment leur métier et qui en parlent bien dans cette série, je vous invite à découvrir des personnalités hors du commun, leur rapport au travail et leur satisfaction intime d’exercer leur métier avec soin.

Nous sommes aujourd’hui au cœur de Paris, entre les Grands Boulevards et la place de la Bourse. Je vous emmène à la rencontre d’Olivier Auroy, qui exerce la profession d’onomaturge. Ah, je vous devine interrogatifs ! Olivier invente des noms : des noms de produits, de marques de services ou de société. Qu’il s’agisse d’un parfum, de bas de contention, d’un satellite, du chien d’une milliardaire, d’une start up ou encore d’un sextoy. Rien n’émousse sa créativité. Et son amour des mots, qui remonte à l’enfance, l’a également conduit à écrire cinq romans à ce jour.

Nous sommes au mois de juin quand je dois rencontrer Olivier. Un mercredi, pour être exact. À l’heure de notre rendez-vous, je découvre un jeune quinquagénaire grand et mince, portant un costume noir, des lunettes en métal et une courte barbe poivre et sel.

Hervé Hauboldt : Bonjour Olivier, bonjour. On s’est retrouvés devant votre bureau, mais on ne va pas aller au bureau. Que se passe-t-il?

Olivier Auroy : Alors là, je vous emmène au jardin du Palais-Royal, qui est près de mon bureau et qui est en fait mon deuxième bureau. C’est à dire que quand j’ai des difficultés à trouver l’inspiration, quand j’ai besoin de changer d’air, eh bien c’est ici que je viens pour retrouver l’inspiration.

Hervé Hauboldt : Après quelques minutes de marche dans l’un des plus beaux quartiers de la capitale, passée l’heure de pointe, c’est à l’ombre des tilleuls qu’Olivier me raconte l’origine de sa vocation.

Olivier Auroy : Je pense qu’il y avait des atavismes. Les atavismes, c’est mon grand-père Joseph Auroy qui était un champion de Scrabble. On l’a d’ailleurs retrouvé mort dans son appartement à Orléans, la tête posée sur un jeu de Scrabble, lettres éparpillées et ses petites lunettes qu’il tenait... C’était une vision extraordinaire ! Et mon grand-père maternel, Herman, qui est mort à l’âge de 107 ans, lui, était un champion de mots croisés. Donc, entre un grand père champion de mots croisés et un grand père, un champion de Scrabble, je pense que il y avait de bonnes prédispositions.

En fait, je me suis rendu compte que, peut-être, j’avais quelque chose à faire avec les mots. Quand je jouais au Scrabble avec mon grand-père... On avait des parties interminables. Il avait évidemment à cœur de gagner, moi, je me défendais. Et j’ai vu que j’avais une certaine facilité à trouver les anagrammes, ce qui est plutôt pas mal pour le Scrabble. Et c’est à partir de ce moment-là que je me suis rendu compte que j’étais à l’aise avec les mots. Jusqu’au moment où j’ai vu cette annonce d’une agence de création de nom qui cherchait un stagiaire. Moi, je savais pas que ça existait et qu’on pouvait en faire un métier.

En fait, tous les sujets m’intéressent, moi, je n’ai pas de difficulté, en fait... Je dirais plutôt qu’il y a des sujets qui sont plus compliqués. C’est très difficile de trouver des noms pour des banques ou des assurances ou des mutuelles parce qu’ils veulent toujours les mêmes valeurs et toujours les mêmes idées. Et on tourne en rond. En revanche, pour son caractère ludique, j’aime beaucoup les jouets, j’aime beaucoup l’alimentaire. Quand on vient vers moi pour un gâteau ou pour une boisson, c’est toujours un immense plaisir. J’ai toujours une inspiration très forte. Alors, ce qui peut compliquer une recherche de noms, ça peut être un mauvais cahier des charges. Ce qui m’est arrivé une fois sur un parfum d’une marque que je ne vais pas citer où le brief n’était pas bon. Et là, il a fallu quatre, cinq rounds successifs parce que on n’arrivait pas jusqu’au moment donné où le directeur marketing a changé et qu’il a donné un brief très précis que je peux vous donner, c’était “bandit”. C’est un parfum “bandit” et là, tout s’est éclairé alors qu’avant, c’était “pour l’homme avec un grand H et tous les hommes”. Donc le non-brief, c’était pas précis. Et puis, une recherche de nom peut être compliquée quand le process de décision est complexe, c’est à dire qu’il y a beaucoup de personnes à convaincre. Il faut faire plusieurs réunions. C’est tellement subjectif, la création de noms, que plus on multiplie le nombre de décideurs et plus la recherche de noms s’allonge.

Hervé Hauboldt : Vous savez que j’aime bien vous faire passer en coulisses pour entendre mes invités au travail. Alors aujourd’hui, je vous propose de vous glisser dans une salle de réunion où Olivier reçoit le brief d’une cliente pour trouver le nom d’un chewing gum.

Clara : Le produit en lui-même, je le trouve assez révolutionnaire. C’est donc un chewing gum, je vous l’ai dit, mais un chewing-gum qui est végétal, ça vous paraît peut-être évident, végétal, mais la gomme, en général, est extraite de produits issus du pétrole, en fait. Donc d’avoir un produit entièrement végétal, c’est quand même une petite révolution. D’autant qu’on travaille avec de la menthe, un assemblage de menthes, en réalité, qui confère à notre chewing-gum un goût assez hors du commun. Là, l’idée, c’est d’avoir vraiment quelque chose qui nous saisit, qui nous rafraîchit, qui nous réveille, même. On a fait tester notre chewing-gum. 78 % des personnes qui l’ont goûté ressentent un frisson, un frisson physique. Et ce point en particulier, c’est vraiment ce qui a intéressé et retenu l’attention de nos testeurs. Et ça fait partie des choses sur lesquelles on a vraiment envie d’appuyer.

Olivier Auroy : En fait, on n’arrivera pas à tout dire avec le nom.

Clara : Malheureusement.

Olivier Auroy : Ben voilà, je dirais que c’est ma première petite mise en garde. C’est impossible que ce pauvre petit nom, il porte sur ses épaules, tous ces messages. On a un mix. Ce n’est pas vous que je vais l’apprendre. On va avoir une identité visuelle, on va avoir un packaging, on aura une com’. Il va falloir qu’on voit ce qu’on met en avant et ce que le nom va porter de façon prioritaire...  Donc, si vous voulez, Clara, la façon dont ça va se passer, c’est que je travaille en entonnoir. À partir de ce qu’on s’est dit aujourd’hui, je vais générer, alors, je ne sais pas entre 200 et 300 noms.

Clara : Ah oui, quand même !

Olivier Auroy : Oui, en général c’est la réflexion qu’on me fait. Mais pourquoi? Parce que j’ai besoin de faire ça pour arriver à une sélection.

Clara : Mais vous n’allez pas m’en présenter 200 ou 300 ?

Olivier Auroy : Non, justement, ce que je vais faire, c’est que j’en ai présenté 25 qui seront 10 % des 250 des 300. Des noms qui auront été filtrés. Mais si vous voulez, j’ai besoin de faire ça. Il faut que j’aille au bout de mes recherches. Ça va m’obséder. Vous allez me obséder pour les dix jours qui viennent et c’est normal. Je vais penser chewing gum à la menthe pendant dix jours et j’ai besoin d’aller jusqu’au bout de la démarche.

Olivier Auroy : Mon premier pas, c’est que je prends en général les mots clés sur un sujet particulier et je commence à chercher les synonymes, les évocations. Ensuite, j’ai toujours un alphabet à mes côtés et j’essaie de changer en fait les premières lettres des mots clés, de voir comment on peut les combiner. Je m’intéresse syllabes, je m’intéresse aux sonorités. Il y a aussi une routine qui consiste à regarder les traductions des mots clés. Par exemple. Tout à l’heure, on parlait des boissons, alors je ne sais pas si j’ai le mot “fraîcheur”, je vais m’intéresser au mot “fraîcheur” dans la plupart des langues connues pour voir à quoi ça m’amène. Il y a presque un protocole, il y a presque un parcours obligé entre l’alphabet, les traductions et le jeu sur les lettres et les syllabes. En fait, c’est un métier très obsessionnel parce que quand on est lancé dans une recherche de noms, moi, ça m’obsède. J’y pense en me couchant la nuit. J’y pense dans le métro, quand je voyage tout le temps. Tout le temps, tout le temps, tout le temps, j’ai la recherche de noms en tête et les mots qui dansent dans mon esprit. Donc, pour éviter une forme de... Pas de folie, mais on peut devenir dingue à force de ressasser les mêmes mots. Il y a des moments où j’essaie de me mettre en off, de me couper et de ne plus y penser. Le seul moyen, c’est soit de ne pas faire du tout de recherche de nom pendant un certain temps, soit de faire deux activités. Mais je me souviens qu’à une époque où je faisais ça de façon intensive et permanente, c’était tellement obsédant que quand j’arrivais à la maison en fin de journée, je n’avais qu’une envie, c’était de me planter devant la télé et de zapper comme un idiot. De zapper, de ne voir que les images, de ne plus voir de mots. Parce que c’est très obsessionnel.

Pour faire 300, 400 noms, quelquefois, c’est un processus, comme je l’expliquais, il faut chercher l’inspiration, il faut changer d’endroit, etc. Quelquefois, c’est un processus très pénible, laborieux. Moi, je crois beaucoup à la sérendipité. Quelquefois, je feuillette des bouquins, des dictionnaires par hasard et par hasard, je trouve quelque chose, mais quelquefois, c’est laborieux. En fait, je me suis rendu compte que j’avais de bons résultats si je pratiquais une forme de variété. Il y a des moments d’intense bouillonnement où ça va dans tous les sens, c’est à dire des moments qui sont assez propices à la création de noms. Et puis, j’ai des moments beaucoup plus apaisés, mais je me suis rendu compte que je travaille bien, je produis beaucoup dans un cas très particulier et qui nous ramène un peu au Palais royal, c’est après avoir couru. Quelquefois, j’ai l’impression qu’en fait, tout est verrouillé, que je n’ai pas d’issue, que je n’arrive pas à sortir. Et puis, en courant tout d’un coup, paf, il y a quelque chose qui se débloque. Et puis quelquefois, ça arrive comme un fleuve, comme un ruisseau. Il y a plein d’idées qui déboulent et alors que j’étais incapable de produire un nom en deux heures. Là, je peux en faire 30 en dix minutes. Quand j’ai l’afflux d’idées, c’est jouissif. Parce qu’il y a vraiment une histoire de chasse au trésor, il y a vraiment une histoire d’énigmes. La création de nom, c’est un peu comme un rébus. Quand on a cette révélation, quand ça débloque, c’est un plaisir fou !  

Hervé Hauboldt : Comme beaucoup de créatifs avec qui j’ai pu échanger et pour l’avoir expérimenté moi même, Olivier a besoin d’un cadre assez strict pour stimuler son esprit, comme un brief contraignant ou des délais serrés. Mais ce qui m’intéresse particulièrement, c’est de comprendre comment ça marche intérieurement, ce qu’est le travail et l’expérience apporte au talent spontané. Et avec les années maîtrisées, sa mécanique personnelle pour être efficace.

Olivier Auroy : La contrainte ou le cahier des charges ou le brief, pour moi, c’est essentiel. Si quelqu’un me dit le sujet, c’est ça, et vous avez toute liberté, faites comme vous voulez, c’est épouvantable pour moi. Ce qu’il me faut, c’est vraiment un cadre très serré. Ça, c’est la meilleure des dispositions possibles. Des contraintes très grandes que je vais éventuellement pouvoir contourner. En fait, moi, je ne travaille pas sans deadline. Je travaille pas sans date, alors que si quelqu’un me dit avait écouté, on reviendrait vers moi quand vous voulez, je vous laisse toute la latitude que vous voulez, vous avez du temps pour créer... Ça ne marche pas avec moi. Moi, je n’y arrive pas. Il faut me dire j’ai besoin que vous me fassiez une présentation dans dix jours, là, oui !

C’est le fameux débat nature/culture ou inné/acquis. Je pense qu’il y a des deux, je pense que j’avais quelque chose d’inné en moi, cette capacité à trouver les anagrammes, à faire les connexions entre les mots, les fameux atavismes des grands-parents. Mais c’est aussi des choses que j’ai beaucoup travaillé. Moi, je ne suis pas de ceux qui pensent qu’un espèce de don, et voilà... Moi, je crois beaucoup au travail. Les gens talentueux dans leur discipline, quand on regarde leur histoire, ce sont tous des bosseurs, mais dingues. Moi, il y a une chose que je fais, alors c’est un peu dingo. Mais par exemple, régulièrement, je relis le dictionnaire. Donc, je passe des matinées à relire le dictionnaire français. Il m’est arrivé de lire entièrement un dictionnaire de swahili ou un dictionnaire de latin, un dictionnaire de grec pour pouvoir faire de la recherche et me familiariser avec les mots. Alors moi, je ne suis pas un workaholic, je sais mettre des barrières. En fait, c’est avec le temps qu’on apprend à se connaître. Et moi, c’est avec le temps que j’ai vu que j’avais besoin de plat pour essayer de retrouver du dénivelé, de l’action, c’est à dire que j’ai besoin de moments de vide pour avoir envie de repartir au travail. Par exemple, les vacances sont réussies quand j’arrive au moment où j’ai envie de rebosser, mais j’ai besoin de ces moments de stop and go. C’est ça qui me motive. Je ne suis pas capable de travailler comme un dingue sur une période trop prolongée. Ça ne sera pas productif. De toute façon, c’est du bon sens. C’est pour ça que les vacances existent. C’est pour ça qu’on demande aux gens de faire des pauses. C’est aussi une façon de se ressourcer, mais moi, c’est vraiment une histoire de batterie. En fait, j’ai besoin de me vider complètement pour pouvoir réemplir ce manque.

Alors, à chaque fois, c’est une nouvelle recherche. Mais à chaque nouvelle recherche, on déniche des pépites, on déterre des petits trésors et il y a effectivement des noms qu’on garde et on sait que ce sont des noms qui peuvent convenir pour une autre recherche. Il y a un petit côté un peu chercheur d’or, un peu alchimiste dans la création de nom. Ça, j’en suis convaincu. C’est une analogie chercheur d’or qui fonctionne très bien parce que, comme je l’ai expliqué, c’est assez harassant. Il faut déblayer des mètres cubes et des mètres cubes et des mètres cubes de terre ou des hectolitres de rivières avant de tomber sur une pépite. Et en fait, la pépite, elle, est souvent brute. Le mot il est souvent brut. Moi, c’est aussi pour ça que je suis passé, à une période de ma vie, de la création de nom au design, parce que je me rendais compte que le mot, le nom, ça n’est qu’une pierre brute. Ce qui va faire que la pierre va devenir un bijou, c’est justement le design, le logo, la communication. Le nom n’est pas tout seul.  

Hervé Hauboldt : Je vous propose maintenant d’effectuer un petit saut dans le temps. Après une dizaine de jours de réflexion et de course à pied, quand Olivier livre sa première sélection de nom à Clara. 

Olivier Auroy : Alors vous êtes près de chez Clara?

Clara : Je suis prête.  

Olivier Auroy : Le premier nom, c’est Frizzly. Et Frizzly, c’est quoi? C’est un mot valise. Je suis parti de freeze parce que vous m’avez dit “Oh là là, il y a un frisson. Tout d’un coup, boum! Il y a une sensation importante” et j’ai pris Grizzly. D’abord parce que je trouve que c’est un mot assez fascinant dans sa construction et que pour moi, je sais qu’il va instantanément me renvoyer à des univers froids. Évidemment, l’animal a quelque chose de fort. Donc, si on veut dire quelque chose de fort qui déménage et qui... Je trouve qu’on était pas mal. 

Clara : Je ne réagis par vous me dites pas réagir, donc je ne dis rien.  

Olivier Auroy : Pas trop pour l’instant. Si vraiment vous n’en pouvez plus. Bien sûr, ne vous retenez pas. Ensuite, il y a un Tsunamint. Alors là, c’est... Ben, c’est malin, c’est le tsunami, et puis, je mets la Mint. Petite parenthèse juridique : je n’ai pas trouvé de Tsunamint en classe 30, mais je n’ai pas trouvé de tsunami non plus. Alors...  

Clara : C’est pas un mot très positif, en fait.  

Olivier Auroy : Et là, on est dans le cœur du sujet. C’est que les noms qui sont libres, qui sont intéressants et souvent, ils ont une petite fragilité. Mais c’est vrai que vous avez raison “tsunami”, pour beaucoup de gens, ce n’est pas une belle histoire et c’est sa fragilité. Mais bon, c’était intéressant d’avoir la combinaison. Ensuite, on a Miss Mint et Miss Mint, en fait, moi, ce qui m’intéresse, c’est KitKat, Coca-Cola. Scientifiquement, les allitérations font que les noms se retiennent mieux. C’est pour ça qu’on retient Coca Cola. C’est pour ça qu’on retient KitKat. Ensuite, j’ai -40. Ça, c’est plutôt pour vous tester parce que c’est le plus universel possible. Là, pour le coup, la com va énormément jouer. Alors après, il y en a un qui est Menthilo. Menthilo, c’est un très joli mot valise entre Menthe et Ventilo. On dit beaucoup de choses, on dit la menthe et on dit le fait que ce soit ventilé. Alors certes, un ventilo, c’est pas une grosse bourrasque, mais j’avoue que j’ai une grosse tendresse pour ce type de non, parce que c’est malin et c’est une honte que notre tellement de choses, et c’est surtout je pense que c’est Lennon qui s’approprient très vite en terme de com. On peut se régaler aussi. Ensuite, j’avais D-Menthe, D, tiret Menthe. Je me suis amusé, j’ai fait un peu le copier writer, “un goût de fou”. Alors là, il faudrait faire ou regarder avec votre service juridique, mais voir qu’est-ce qu’on peut faire avec Menthe. Moi, ce que je sais, c’est qu’à partir du moment où le mot menthe est transformé, on devient distinctif.  

Olivier Auroy : Ce qui est très compliqué, c’est qu’en général, quand je présente un dossier de noms, j’y travaille depuis 3, 4 semaines et donc j’ai forgé mes convictions. Je sais exactement le nom qui peut fonctionner, je m’y suis habitué. Quand je le présente au client. Il n’a pas eu tout ce temps-là. Donc ce qu’il faut faire, c’est le mettre en avant, lui expliquer pourquoi c’est un bon nom. Mais il aura besoin de temps. Il aura besoin de temps pour pouvoir le choisir. Il va en fait le comparer avec d’autres noms qui seront peut-être moins bons, en tout cas dans son esprit mais il faut qu’il ait la possibilité de comparer. On ne peut pas forcer un nom, on ne peut pas dire aux clients c’est ce nom-là. Et puis c’est tout. Il faut qu’il ait la possibilité de comparer la possibilité d’y penser. Donc, tout mon travail consiste à mettre en scène le nom, à montrer en quoi le nom peut convenir pour son produit, pour son service. En fait, avec l’expérience, ça fait quand même de 25 ans que je fais ce métier. Mais ce qui est fou, c’est que je le vois tout de suite le bon nom. C’est à dire que c’est très, très rare, que le nom que j’ai choisi soit pas retenu par le client ou qu’il ne voie pas que c’est intéressant. Et c’est ça qui fait, je pense, la valeur des gens qui font ce métier depuis longtemps comme moi, c’est qu’on a un flair. C’est simplement qu’à force de voir des listes et des listes entières de mots, de noms, quand on est sur un sujet particulier, on sent le truc. On sent le truc qui convient au client, qui est un peu original, qui à la fois différent et pertinent. C’est inexplicable. C’est un mélange d’expérience et d’intuition, mais ça, moi, je le vois tout de suite et en fait, je le sens. Ce qui est dingue, c’est que souvent, je vais faire 300, 400 noms, mais au vingtième nom créé, je sais que j’ai trouvé.

Hervé Hauboldt : Nous abordons maintenant la fin du rendez-vous lorsque, lorsqu’après avoir exposé 25 à 30 noms, Olivier recueille les premières impressions de Clara et livre ses recommandations. Évidemment, vous n’avez là qu’un bref aperçu de leur échange. D’autres séances de travail seront nécessaires pour affiner la sélection et finaliser la décision.

Clara : Merci pour tout ce travail. Il y a plein de choses, il y a plein de choses qui m’intéressent et effectivement, d’autres moins mais ça permet d’enlever des pistes et de fermer les portes. Donc, tant mieux. Non, vraiment, merci et bravo parce que il y a plein de belles choses. C’est toujours difficile de réagir à chaud comme ça. J’ai bien aimé, notamment Miss Mint. J’aime bien son côté un peu frais, un peu fun, un peu léger. C’est bien dans l’esprit de ce qu’on a envie de faire avec cette marque. Dans un style complètement différent, j’aime bien -40. Parce que ça se démarque, parce que ça dit de façon très efficace ce que je vous expliquais de nos testeurs qui se prennent un frisson. Ça me dit le froid, en tout cas, si j’ai un packaging autour, il n’y a pas de doute. Donc j’aime bien le côté distinctif. C’est moins fun, c’est plus sérieux, c’est plus droit mais je pense qu’on peut jouer autour. Voilà à peu près, en tout cas, mes premiers ressentis mais il faut sûrement que ça repose un peu.

Olivier Auroy : Chère Clara, je vais vous montrer mes trois recommandations... Il y a un truc important, c’est que ces recommandations sont venues au bout de dix jours de travail. Ce que je veux dire, c’est qu’on est pas au même degré de compréhension et d’exposition. Donc, c’est pour ça. C’est intéressant de confronter nos points de vue. Il y en a trois que j’aimais bien. Moi, j’aimais beaucoup Menthilo. J’aimais beaucoup Menthilo parce que je trouve qu’il rassemble beaucoup de points intéressants du brief, c’est à dire le côté mente, évidemment, le côté qui aère, qui rafraîchit. Certes, il n’a pas la violence dont vous aviez parlé, mais à la limite, je préfère qu’on ait un nom plus doux et qu’on est après le reste du packaging et de la com qui mettent un petit coup de boost entre guillemets. J’aimais bien Blizz, moi, pour l’inverse, c’est à dire qu’il y a le côté blizzard, il y a le côté Blitz, il y a le côté Bliss, le bonheur. Je pense qu’on peut faire beaucoup de choses avec les deux Z. Et puis une syllabe, je trouvais ça fort et c’est typiquement le genre de nom, quand on le décortique, on est au cœur du sujet. Et le troisième nom que j’aimais bien, c’était -40 aussi parce que différent parce qu’on ne l’a pas vu beaucoup sur le marché. Mais là aussi, je suis assez d’accord avec vous. Il faudra quand même le travailler sur le Pack.

Olivier Auroy : Mon plaisir y vient quand j’ai trouvé un nom qui convient aux clients, mais surtout quand j’ai trouvé un nom qui me va bien à moi ! C’est à dire que, j’ai un exemple, je devais trouver un nom pour le plus grand magasin de chaussures de luxe à Dubaï, évidemment, et le brief était très sur l’histoire des talons hauts, de la hauteur de mannequins, un peu à la Thierry Mugler très haut perchées. Et on est sur des noms internationaux, j’avais trouvé le mot de Level donc le niveau parce High level, etc. Et puis, en plus, c’est un palindrome : il y a Ève au milieu, la femme. Je savais très, très vite que c’était un nom intéressant. Il m’a fallu un peu de temps à convaincre le client, mais ça, le jour où le client a dit "je pense qu’on va prendre ce nom pour le magasin", j’étais heureux parce que c’était un bon nom et puis surtout parce que moi, je suis un peu comme un chasseur. J’ai un nouveau trophée, un bon nom dont je peux me réclamer.

Hervé Hauboldt : En revenant du Palais royal, sous un soleil radieux, Olivier m’a fait visiter la librairie dont il écume régulièrement le rayon des dictionnaires, en quête de l’ouvrage qui alimentera ses réflexions. C’est en parcourant les tables qu’il évoque son goût pour la littérature et en quoi écrire des romans est venu combler une forme de frustration.

Olivier Auroy : J’ai commencé à écrire quand j’étais en expatriation à Dubaï, au Moyen-Orient. Et c’est en retrouvant des bouts d’écrits, de poésie, de romans, souvent assez mauvais d’ailleurs. Mais je me suis dit “Tiens, c’est dommage, ce serait bien de reprendre les choses”. Et là, je me suis lancé dans un grand travail d’investigation pendant deux ans et j’ai construit mon histoire et j’ai commencé à écrire. Je pensais que c’était simplement une envie passagère et en réalité, j’ai jamais arrêté et jamais arrêté et j’ai eu besoin d’avoir ce chantier existant. Je pense aussi que c’est une fonction par rapport à la recherche de nom. C’est quelque chose de on se centre sur un mot. Il y a toujours eu une forme de frustration parce qu’effectivement, un nom, un mot, c’est très court, c’est pas suffisamment long, donc c’est aussi pour ça que j’avais été dans des agences design, de travailler sur le graphisme et de travailler sur le logo parce que c’était un autre aspect de la marque. Ça pouvait me permettre d’aborder d’autres types de messages. Et donc, je pense que ce soit le fait de travailler sur l’identité visuelle, ou que soit le fait de travailler plutôt sur de la littérature, un roman, je pense que c’est une façon d’allonger les choses.

Olivier Auroy : Il y a quelque chose dont on n’a pas parlé, qui est important dans la création de noms. C’est qu’un bon nom, c’est un nom qui raconte immédiatement une histoire. Donc, je pense que raconter des histoires dans un roman ou raconter des histoires au travers d’un nom, c’est peut être le point commun qu’il y a entre les deux disciplines. Je passe aussi facilement du métier d’onomaturge à celui d’écrivain. Je dirais que l’onomaturge, il y a un côté chasse au trésor. Il y a vraiment un côté Graal, la quête du Graal. Il y a une clé qui ouvre des portes. C’est vraiment ça. Il y a un côté résolution de rébus très fort qui serait plus proche des oulipiens, des surréalistes, ce jeu avec les mots, ce goût de trouver une solution. Alors qu’avec la littérature, c’est plus un marathon, c’est plus une course de fond. Il n’y a pas quelque chose absolument à trouver. En fait, si je résume dans un cas, c’est plutôt une chasse au trésor. Dans l’autre, c’est plutôt une musique qui se compose petit à petit.

Hervé Hauboldt : Je vous dois une petite précision en conclusion de cet épisode, comme vous pouvez l’imaginer, les rendez-vous d’Olivier sont généralement confidentiels. Nous avons donc imaginé la naissance d’un chewing-gum fictif et les oreilles les plus affûtées auront peut être reconnu mon ami Claire Jéhanno, autrice du podcast Pile, que je remercie infiniment d’avoir prêté sa voix à cette chère Clara. Si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à le montrer sur votre plateforme d’écoute préférée. Un abonnement des petites étoiles et un commentaire, si elle le permet, sont très importants pour qu’ils puissent être découverts par d’autres auditeurs et surtout parlez-en autour de vous. Vous pouvez suivre un Travail soigné via les comptes Stereolab sur Instagram, Twitter et Facebook et m’envoyer vos suggestions pour de prochains épisodes. Merci pour votre écoute et à très bientôt.